Que cela soit l'arrivée de l'AI Act   (la loi européenne sur l'intelligence artificielle) qui s'appliquera en fin d'année, ou la prise de recul des acteurs de l'écosystème formation, tout converge pour maintenant se poser des questions essentielles : Pourquoi utiliser l'IA Gen, dans quel but ? Comment garantir des usages éthiques, que cela soit pour les formateurs ou les apprenants ? Comment ne pas se retrouver piégés et esclaves de modèles économiques et technologiques ? Comment tendre vers une souveraineté des outils souvent exigée par leurs clients ?

Comme toujours par le passé, ces questions d'usage et de transformation des pratiques pédagogiques vont désormais suivre l'éclosion des innovations technologiques.

Nous pouvons facilement penser que nous vivons un moment exceptionnel, unique dans l'histoire de la formation, tant la déferlante de l'IA Générative a été spectaculaire depuis deux ans. Pourtant, nous allons découvrir au cœur de l'événement Learning Technologies 2025, que l'heure de l'euphorie sans limite, sans réserve vis à vis du potentiel offert par l'IA Gen, laisse désormais la place à une prise de distance indispensable et tout aussi passionnante, de la part des acteurs de la formation.

Pour comprendre ce mouvement qui concerne la plus grande partie des exposants du salon, prenons le temps de regarder dans nos rétroviseurs pour nous rendre compte comment depuis 30 ans la technologie a accompagné les transformations vécues par tous ceux qui travaillent dans le monde de la formation.

 

Yannig Raffenel
Directeur des Conférences | Learning Technologies France
 Président | EdTech France

Le véritable commencement des innovations EdTech remonte à l'invention du CD ROM. Dès lors, l'objectif de « numériser » des contenus de formation est devenu la mission prioritaire des responsables innovation formation. Il est vrai que l'arrivée du multimédia à la portée de tous était une révolution pour produire des ressources de formation attrayantes. En même temps, nous avons assisté aux débuts de l'interactivité grâce à la technologie « Flash ». Enfin, on pouvait concevoir des parcours n'offrant plus des tunnels d'écrans de contenus, utilisés dans un continuum linéaire de manière tellement ennuyeuse !

 

L'évolution du e-learning jusqu'à l'intégration de l'intelligence artificielle dans l'EdTech

À la fin des années 90, l'arrivée d'internet et de l'ADSL sont à l'origine des plus grandes inventions technico-pédagogiques. Forts du constat qu'il était indispensable de savoir ce que faisaient chacun des apprenants, nous avons inventé les systèmes pour suivre leurs activités et pour leur mettre à disposition des catalogues de formation. C'est ainsi que les années 2000 sont devenues l'apanage du e-learning, basé sur la vision simple (voire simpliste, comme l'avenir le dira) que le LMS était la solution pour construire des dispositifs performants de formation.

Le réseau avait la solidité et les performances de débit nécessaires pour transporter des volumes importants d'informations et permettre :

• d’avoir une plateforme LMS pour distribuer les formations
• de mettre à disposition un catalogue de formations pléthorique
• d’effectuer un suivi du temps passé par chaque apprenant et de visualiser les résultats de ses évaluations.

Pourtant, dès 2010, ce modèle a commencé à craquer de tous côtés. Les taux de complétion des parcours de formation étaient ridiculement faibles, et nombreux sont les responsables formation qui ont pu alors constater que les indicateurs remontés, bien que conformes aux normes SCORM, n'avaient qu'une valeur très faible…

C'est alors que sont arrivés les systèmes experts et les algorithmes ! Ils ont apporté la puissance de traitement des données et il a été enfin possible d'imaginer des dispositifs techniques permettant de remplir une des ambitions déclarées de la Formation Ouverte et À Distance (l'ancêtre du E-Learning) : individualiser les parcours, personnaliser la formation.

Pour cela, on a imaginé des outils de positionnement et une analyse dynamique des actions des apprenants pour fournir les données permettant de produire de l'adaptive learning. Sans le savoir, nous étions déjà depuis les années 2010 aux prémices de l'Intelligence Artificielle utilisée en EdTech.

À chacune de ces étapes, les innovations technologiques ont inspiré les ingénieurs pédagogiques pour défricher des mises en application possibles. Et ainsi, ont émergé des usages, des transformations de pratiques pédagogiques pour les formateurs, des dispositifs de formation nouveaux incluant des modalités répondant toujours mieux aux besoins des apprenants.

 

IA générative et EdTech : 2025, l'année des applications concrètes et innovantes

De la même manière, nous venons de traverser deux années de débroussaillage de l'IA générative ! En 2024, toutes les entreprises EdTech s'en sont emparée pour booster leurs applications et inventer de nouveaux services présentés à Learning Technologies. Alors, on peut légitimement se poser la question : quelles vont être maintenant les nouveautés en 2025 ? De tous temps, il n'y a pas eu de « bons » ou de « mauvais » outils, mais toujours des nouveaux usages, plus ou moins pertinents. Alors, sans hésiter, on peut dire que 2025 va être l'année des usages matures de l'IAGen !

Nous entrons de nouveau dans une phase où les apports technologiques vont laisser la vedette aux usages innovants ! Il n'y a plus à démontrer tout ce qu'apporte l'IA Gen aux différents métiers de la formation : conception optimisée des ressources en temps réduit, production qualitative d'illustrations en tous genres, supports aux utilisateurs via des chatbots...la liste est longue et démontre toute la créativité des très nombreuses entreprises EdTech présentes au salon.

Nous pourrons découvrir comment les applications nouvelles ouvrent des perspectives passionnantes en EdTech :

• Une généralisation de l'hyperpersonnalisation des parcours d'apprentissage en fonction des objectifs de carrières, du niveau des apprenants, des motifs de motivation des apprenants.
• Une génération nouvelle de l'évaluation automatisée avec des feedbacks enfin réellement formatifs.
• L'accélération du tutorat intelligent et de la pratique via des assistants virtuels, des chatbots humanisés via des avatars pour l’apprentissage des langues, les smart skills…
• L'ouverture massive de la collaboration et de la création de contenus pour les enseignants et formateurs.
   

Les enjeux de l'IA en 2025 : Transparence, biais et impact sur l'apprentissage selon les leaders de l'EdTech

C’est ainsi que Nicolas Chalons, CEO de Smartch, nous partage sa vision des tendances sur l’année 2025. Smart, entreprise EdTech, sera présente Porte de Versailles pour présenter leur outil AUTRICE.

Pour lui « l'IA a bouleversé les paradigmes de l'andragogie. En 2025, l'apprentissage doit être plus agile, personnalisé et "émotionnellement" intelligent. Surprenons la cible pour développer la mémorisation et la compréhension. Ouvrons l'horizon et le champ des possibles, jusqu'alors inaccessibles ! Les andragogues doivent repenser leurs approches pour intégrer pleinement ces innovations et en tirer parti afin d'offrir des expériences d'apprentissage véritablement transformatrices. Les outils d'hier ne peuvent plus offrir la souplesse, la rapidité et la flexibilité nécessaires à la productivité des andragogues, ni l'adaptabilité indispensable aux apprenants. »

Alors comment les usages de l'IAGen vont-ils évoluer ? Pour Nicolas Chalons « les technologies d'IA, en particulier celles intégrant la reconnaissance des émotions, pourront identifier les frustrations ou la démotivation des apprenants adultes, et ajuster les supports ou méthodes d'enseignement pour maintenir leur engagement. Les chatbots et assistants intelligents vont devenir des tuteurs virtuels, accessibles à tout moment, offrant des réponses et des explications détaillées aux apprenants. »

Un autre avis inspirant, celui de Raphaël Droissart COO et co-fondateur de Edflex exposant fidèle à Learning Technologies.

« Côté tendances, on observe un paradoxe …avec du côté des responsables formations et des directions une vraie volonté de transformation sur les sujets IA, un dynamisme et du côté apprenant, une défiance et un scepticisme parfois assez ancré. Un enjeu clé du moment est donc d'arriver à former les équipes formations à cet accompagnement nécessaire des collaborateurs, ainsi qu'évidemment accompagner les salariés à l'usage de l'IA avec beaucoup de démocratisation du savoir et de prise de recul. »

Selon lui trois points clés émergent dans le secteur EdTech :

• « La transparence accrue : les nouvelles régulations sur l'IA vont obliger les entreprises EdTech à apporter plus de transparence sur le fonctionnement de leurs algorithmes d'IA notamment sur la façon dont les algorithmes prennent des décisions éducatives.
• La chasse au biais algorithmique : les nouvelles régulations vont forcer les entreprises EdTech à optimiser leurs algorithmes pour éliminer les biais et ainsi assurer une éducation plus équitable et inclusive pour leurs étudiants.
• Le défi des juridictions globales : les entreprises EdTech opérant à l’international devront naviguer des régulations parfois divergentes d’un pays à l’autre, ce qui peut compliquer la conformité et la mise en œuvre des technologies IA à large échelle. Elles devront également se mesurer à une politique de protection des données plus restreinte afin de garantir la sécurité des informations personnelles des étudiants. »

Pour Julien Huelvan CEO de Beedeez« au sujet de la sécurisation des données… beaucoup d’entreprises, de plateformes de formation, n’ont pas assez anticipé ni bordé ce risque. De même, il existe un risque éthique, preuve en est le départ de l’un des fondateurs de OpenAI, directeur scientifique et chargé de la sécurité avec des désaccords persistants sur la gestion des risques liés à une IA toujours plus puissante. » À cela s'ajoute des risques spécifiques “dans la formation, avec souvent un raccourci trop facile : manque d'évaluation critique des résultats/contenus produits par l'IA, surestimation des capacités de l'IA, risque de perpétuer des biais ou des erreurs non détectées. »

Pourtant, « l’important est de s’en servir comme un outil et pas comme une finalité. Tout comme Excel n’a pas supprimé le métier d’expert comptable mais en a démultiplié les possibilités et l’impact, l’IA va avoir le même impact sur beaucoup de métiers, notamment dans la formation. »

 

Vers des usages responsables de l'IA : enjeux éthiques et cadre légal

En conclusion, nous voyons que nous entrons dans cette phase nouvelle de développement de fonctionnalités et surtout d’accompagnement visant à des usages responsables de l’IA Gen. Cette évolution va bien au-delà des intentions déclarées des CEO de ces entreprises EdTech de référence. En effet, le cadre légal évolue lui aussi, rapidement, contraignant à apporter un cadre de sécurité pour limiter les risques et les angoisses légitimes liées à l’IA Gen. Dans son document « Mise en conformité AI Act, les clés pour comprendre et appliquer la loi sur l’IA » publié en février 2024, France Digitale explique très bien combien toutes les organisations utilisant l'IA vont devoir rapidement bouger. En effet, l’AI Act entre en vigueur à partir de la fin 2024 et va contraindre chacune des organisations à garantir que les systèmes et modèles d’intelligence artificielle commercialisés au sein de l’Union européenne soient utilisés de manière éthique, sûre et respectueuse des droits fondamentaux de l’UE.

Dans le monde de l’enseignement supérieur, dans les organismes de formation ou dans les entreprises, cela va se traduire par des actions à mettre en œuvre et à outiller. Par exemple :

• apporter les garanties pour que les sources de données, les modèles de données évitent les dérives éthiques, la diffusion de stéréotypes stigmatisants, la manipulation des comportements des apprenants ou toute forme de discrimination.
• former les enseignants et les équipe de formation aux principes éthiques et juridiques régissant l'utilisation de l'IA
• mettre en place de vastes plans de formation visant le développement de compétences numériques chez les apprenants pour qu'ils puissent naviguer efficacement dans un environnement éducatif enrichi par l'IA. Cela inclut une éducation aux médias et une compréhension critique des technologies.

Et pour les entreprises EdTech, cela va aussi se traduire par une réflexion de fond pour apporter les garanties exigées par nombre de leurs clients sur le contrôle et le respect de ces règles éthiques et sur le choix de fournisseurs souverains.

Vous pouvez aussi découvrir toutes les start-ups, membres d'EdTech France, qui vous présenteront leurs innovations dans le futur de la formation professionnelle.